Brainwashing

Introduction

Chargé de sens, brainwashing peut être identifié à la figure de Patty Hearst même. Enlevée le 4 février 1974 à Berkeley par un groupe de guérilla militant – “ l’armée de libération symbionaise ” (SLA) – Hearst apparaît armée, quelques mois plus tard aux côtés de ses kidnappeurs dans un hold-up durant lequel un policier perd sa vie. Cet incident est suivi par un message audio, envoyée de la part de la SLA aux médias et dans lequel Hearst se présente comme “ Tania ”, déclarant sa collaboration volontaire avec ses enleveurs : “ Greetings to the people. This is Tania. On April 15, my comrades and I expropriated 10’660.02 dollars from the Sunset Branch of the Hibernia Bank. … My gun was loaded, and at no time did any of my comrades intentionally point their guns at me ” (Alexander, 1979).

Adhérant désormais aux valeurs de la SLA, dont la lutte contre le capitalisme et les différences raciales est centrale, la riche héritière de Randolph Hearst déclare : “  Our actions of April 15 forced the corporate state to help finance the revolution. As for being brainwashed, the idea is ridiculous beyond belief ” (Alexander, 1979).

Arrêtée par la police le 18 septembre 1975, Hearst est accusée pour avoir collaboré dans le hold-up. Le premier avocat qui prend en charge sa défense au tribunal, Terrence Hallinan, a une histoire de charges criminelles lui-même, ayant été impliqué dans des mouvements contestataires. Il est également connu pour avoir défendu de nombreux “ hippies ” de Haight-Ashbury dans des procès liés à des stupéfiants. Le deuxième, F. Lee Bailey, à son tour mobilise pour la défense de Hearst une série d’experts psychiatres “ stars ”. Il s’agit de Louis Jolyon West, Robert Jay Lifton, William Sargant qui s’avèrent être les spécialistes mondiaux du contrôle mental et du brainwashing. Ces derniers devaient prouver l’innocence de l’accusée, en montrant délibérément que Hearst avait été victime d’un “ lavage de cerveau ”.

Battle for the Mind

Au même moment que Hearst est déclarée « brainwashed » par la défense aux Etats-Unis (d’ailleurs sans succès puisque l’accusée a été condamnée), la psychiatrie européenne créée le « syndrome de Stockholm» (1973) pour décrire l’ « identification de la victime » avec son agresseur. Or, aux Etats-Unis on ne veut rien savoir d’une telle catégorie. L’explication du « brainwashing » s’avère être particulièrement adéquate pour les experts américains car elle renvoie à deux phénomènes hautement médiatisés : d’une part, les techniques de contrôle mental issues de la guerre froide contenant une paranoïa conspirationniste sur l’effet du communisme sur la société américaine, d’autre part, les conversions massives pratiquées au sein des mouvements sectaires, particulièrement dominants dans les années 1970 aux Etats-Unis et surtout en Californie, pays dans lequel les suicides collectifs et les crimes commis par la Manson Family, la communauté Synanon, le mouvement Rajneesh Bhagwhan et les Peoples Temple (plus tard Jonestown) effraient la population générale autant qu’elle inspirait l’esthétique de la contre-culture.

Rappelons ici que le terme « brainwashing » fut créée par le journaliste Edward Hunter dans le contexte de la guerre froide et a été rediscuté par des scientifiques qui parlaient en termes de « menticide » (Joost A. M. Merloo, 1903-1976), de « conversion forcée » (William Sargant, 1907-1988), de « réforme de la pensée » (Robert Jay Lifton, * 1926), ou encore du syndrome de DDD [debility, dependency, dread] (Louis Jolyon West, 1924-1999). Sargant, et Lifton en moindre mesure, ont traité à la fois les stratégies employées par les forces militaires que celles employées par le culte. Dans Battle for the Mind, Sargant a notamment étudié divers mouvements religieux dont le Snake-Handling soulignaient à la fois l’importance de l’isolement et de la persuasion forcée employées. Sargant et Lifton en particulier ont suggéré que ces stratégies peuvent à la fois être employées par des forces militaires et les formations de culte. Dans ce même type d’envergure C’est ainsi dans le contexte des mouvements contestataires et de la contre-culture que des psychiatres se sont mis à étudier les stratégies à renverser le lavage de cerveau qu’aura commis la contre-culture sur la contre-culture ellem-ême, notamment Louis Jolyon West dans « Green Rebellion ».

 

la nouvelle gauche et des m, mais un peu plus tarid Dans ce contexte même de réversibiliét psossible, entre forces militaires et forces culturelles (culte, thérapie, contre-culture) les psychiatres se sont mis à étudier dans une stratégie préventive la « Green Rebellion », c’est-à-dire les hippies de Haight-Ashbury, afin de comprendre comment inverser l’effet du « lavage de cerveau » commis par la contre-culture elle-même. C’est dans ce contexte qu’évolue le travail du collectif d’artiste T.R. Uthco.

 

Vivant et travaillant à San Francisco, T.R. Uthco a été fasciné par le phénomène Patty Hearst et tout ce qui l’entoure ou à quoi elle peut être associée : médiatisation, propagande, imagerie guérilla, mouvements contestataires, lutte anti-raciale, personnalité multiple et culte. Fondé en 1970 par Doug Hall, Diane Hall et Jody Procter, le collectif T.R. Uthco a produit une œuvre performative (des actions dans l’espace public) jusqu’en 1978, l’année de sa dissolution. Les performances sont documentées en vidéos, photographies, dessins ou affiches, dont Avant-Garde Security, Walking Mission Street ou Social Experiment (10). La dernière performance consistait en une infiltration de la part de Jody Procter, vêtu en officier, au sein des forces de la sécurité à l’occasion de la manifestation qui a eu lieu à San Francisco lors de la visite du président Gerald Ford. Ce dernier était à ce moment-là critiqué pour avoir officiellement pardonné Nixon dans l’affaire du Watergate.

Avec son intérêt pour les médias de masse et leurs interventions dans l’espace public, les pièces de T.R. Uthco rappellent les « laboratoires » de psychologie sociale : les expérimentations menées par Stanley Migram sur l’obédience à l’autorité (Milgram 1967) (11) ; le Stanford Prison Experiment (12) par Philip Zimbardo, 1973. Dans le dernier exemple deux groupes d’étudiants ont été divisés en « prisonniers » et « gardiens » afin de tester leur obédience à l’autorité. L’expérimentation a conduit à un désastre…

The Artist-President

Le travail sur Patty Hearst n’a pas abouti à une performance. Les traces existent sous forme d’affiches, d’affiches contournées et de dessins désigné The Artist-Patty Hearst : une des affiches reprend notamment un poster WANTED de la CIA dans lequel une photo de Diane Hall (13) s’infiltre dans un des portraits représentants Patty Hearst alias « Tania ».

Cet intérêt pour l’alter ego d’une figure emblématique des médias a motivé T.R. Uthco à exploiter par la suite une autre figure tout à fait significative des Etats-Unis : John F. Kennedy. Dans Eternal Frame (1975) (14), coréalisée avec Ant Farm, le centre de la performance est un re-enactement de l’assassinat de Kennedy sur le lieu original de l’attentat, à Dealey Plaza, Dallas, le 22 novembre 1963. T.R. Uthco et Ant Farm rejouent cette scène le 10 août 1975 en se basent sur une source bootleg du fameux film « Zapruder » (15). Le re-enactement de l’assassinat est répété plusieurs fois durant la journée. En effet, les artistes ont opéré sans autorisation officielle, mais ils ont tout de même eu le support de la part de la police. Car, cette dernière a en effet pensé qu’il s’agissait d’un défilé officiel…

Les discours officiels du The Artist-President (Doug Hall vêtu et maquillé en John F. Kennedy, imitant la voix et les attitudes de ce dernier) occupent une place centrale dans la vidéo. Dans un speech télévisé, Hall s’attaque à « l’image » même – le moteur de la performance : « Because I must function only as an image, I have chosen in my career to begin with the end and to be born in a sense even I was dying. I suffered my image death on the streets of Dallas, August 10, 1975, in order to rendre the ultimate service to the media which created me and without which I would be nothing » (extrait tiré de la vidéo Eternal Frame).

Dans Media Burn (1975, une œuvre réalisée par Ant Farm (Hall a écrit le scénario), The Artist-President dénonce les trois « m » (force militaire, monopole économique et médias de masse) :

« What has gone wrong with America is not a random visitation of fate. It is the result of forces which have assumed control of the American system Mass Media […]. These forces are: ‘militarism, monopoly, mass media’ » (extrait tiré de la vidéo Eternal Frame).

 

Le contrôle mental occupe une place déterminante dans la culture de la vidéo alternative, comme nous venons de le voir à travers ces artistes californiens. Ceux-ci utilisent la vidéo comme un moyen pour intervenir dans les débats sur les médias de masse et leurs techniques de conditionnement ou de « brainwashing social ». Le contexte des théories de la « new left » et des mouvements contestataires ont marqué le travail de T.R. Uthco qui lisent surtout One-Dimensional Man de Herbert Marcuse et les écrits de l’école de Frankfort, et en moindre mesure la Société du spectacle. Réalisés avec des moyens « pauvres » ou de « guérilla » – Eternal Frame est filmé par Videofreex et produit par Optic Nerve – les collectifs emploient tout de même des registres visuels et événementiels qui imitent ou s’inspirent directement les industries de médias. D’autre part, les artistes s’expriment témoingent d’un lien direct avec l’esthétique et la rationalité de la guerre froide:

 

  • R. Uthco tire son nom de « truth company » et renvoie par ceci à un système de renseignement. Pour Eternal Frame et Media Burn les scénarios ont été rédigés sur des papiers imitant le style des documents secrets émis par la CIA (16).
  • Dans ses textes traitant de la « guérilla cybernétique », Ryan se base sur L’art de la guerre de Sun Tzu. Ce traité de stratégie militaire chinois rédigé entre le 6e et 5e siècle avant Jésus-Christ contient notamment une section importante sur la « guerre psychologique ».
  • Raindance Corporation a fondé son nom en relation à Rand Corporation, le think-tank ultra-puissant instauré durant la guerre froide et qui reflète les liens étroits entre science, stratégie militaire et industrie. Frank Gillette, un des anciens membres de la Rand Corporation, affirme: « the vision was to create a group that could provide R & D [research and development] for the counterculture. The name Raindance is a play on the Rand Corporation, which did R&D for the Pentagon »[1].
  • Certaines structures médiatiques mises en place par les artistes vidéastes rappellent, s’inspirent ou voire précédent les stratégies d’intelligence et de surveillance mise en place par la CIA (Hu, Tung Hui) (17), comme Media Van d’Ant Farm, une chevrolet reconvertie en une station de télévision alternative, circulant à travers les Etats-Unis.

 

Les dispositifs médiatiques, cybernétiques, participatifs et performatifs mis en place par les artistes vidéo – qui agissant davantage dans la rue que dans le musée ou les galeries – peuvent être compris comme des projets de « prévention » contre l’indoctrination. L’esthétique et les fonctionnements de ces artistes médias rappellent les projets utopiques d’ordre politique et managérial, tel le Cybersyn (18). Ce projet imaginé par Stafford Beer et Salvador Allende pour le gouvernement chilien au tournant de 1970 s’est fondé à la fois sur l’esthétique de surveillance orweillienne (control room, pupitre) et les cultures de médias alternatives (les citoyens interagissent constamment par le biais du feedback, en appréciant ou dépréciant les décisions politiques prises par le centre). Ces politiques participatives sont à la fois réelles (pratiquées à petite échelle par les artistes, conçus à grande échelle par les gouvernements) et utopiques (Cybersyn a échoué avec la fin du gouvernement gauchiste notamment).

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