Videominds

Introduction

It is our eyes, which look at things, yet it is our brain that is responsible for seeing. The brain imposes an order on the light striking the eyes and allows us to recognize objects and phenomena. In the same way the sync signal imposes an order on the light striking the vidicon tube. The sync becomes an integral part of the video signal and accounts for the fact that a picture from the camera can be coherently reproduced on a monitor and recorded on a VTR (Videofreex, 1973, 15).

Dans cette citation et le dessin qui l’accompagne tirés de Spaghetti City Video Manual le collectif d’artistes vidéo new-yorkais Videofreex fait la comparaison entre le fonctionnement des signaux nerveux (cerveau) et le système de captation vidéo. Cerapprochement n’est pas un cas isolé et reflète l’engagement des artistes avec les nouveaux médias. Les Levine, par exemple, a envisagé Contact, son installation exposée dans le cadre de TV as a Creative Media (1969), comme « un système qui synthétise l’homme avec la technologie » et dans lequel « les gens sont le véritable logiciel » (Berger, 1970, 207). Dans les années 1960 émergent une série de pratiques et de théories qui considèrent le flux d’informations circulant entre le cerveau et les nouveaux médias comme le siège de la suggestibilité (ou manipulabilité) mentale même. En témoignent lathéorie sur les arts et le cinéma élargis qui ont forgé une conception de la vidéo comme moyen d’élargissement de l’esprit [video-mind-expansion]. Celle-ci reflète les recherches menées en psychologie expérimentale (Charles Tart) et en psychothérapie psychédélique, notamment sur l’« élargissement de l’esprit » [mind-expanding] et les « états modifiés de conscience » [altered states of consciousness]. Les artistes qui expérimentent les nouveaux médias partagent la conviction que les technologies électroniques, au même titre que les techniques « psy » (ou les deux ensemble), parviendraient à provoquer un changement radical de la personnalité de l’individu, voire à reprogrammer son contenu cérébral. La« programmation de l’esprit par acides », l’esprit comme « méta-ordinateur » ou psychedelevision reflètent cette conception qui s’inspire notamment des travaux de scientifiques devenus « drop-outs », comme John Lilly ou Timothy Leary. Les artistes vidéo comparent ainsi la caméra vidéo et ses effets sur les usagers à ceux de l’hypnose, de la méditation ou des drogues psychotropes. Certains, dont Ed Varney et Marco Vassi, considèrent la caméra vidéo et ses capacités de feedback instantané comme un véritable moyen « psychopharmacologique » dont l’effet serait similaire à un trip LSD. L’art vidéo des années 1960-70 peut, compte tenu de ces faits, être envisagé comme une technologie de la conscience.Dans son livre influant, Expanded Cinema, Gene Youngblood accorde un chapitre entier à l’art vidéo qu’il intitule « videosphere ». Cette notion reflète un ensemble de références théoriques qui deviendront importantes pour les praticiens de la vidéo durant les années 1970 : l’écologie de l’esprit de Gregory Bateson, la noosphère de Teilhard de Chardin et la technologie comme une extension de soi de Marshall McLuhan. Paul Ryan intègre cet héritage dans sa pratique qu’il qualifie rétrospectivement de « video mind », une notion qui nous sert ici à discuter le rapport de l’art vidéo au protocole psychologique et aux stratégies guérilla comme moyen de « déconditionnement » de l’esprit.

TV Monologue

Depuis les années 1960, la psychothérapie behavioriste a appliqué des traitements qui intègrent la caméra vidéo comme un moyen thérapeutique. Celle-ci sert à instaurer un procédé d’auto-observation et de correction gérés par le patient lui-même, notamment grâce au feedback. La caméra vidéo a – dans ce contexte de « normalisation » des comportements dits déviants, compulsionnels, obsessionnels ou de dépendance -, une fonction bien précise : elle remplace les techniques punitives antérieures, comme celles de l’électrochoc. L’utilisation de la vidéo va de pair avec le développement des techniques eidétiques et hypnotiques, donc celles basées sur le pouvoir d’imagination et d’autocontrôle du sujet lui-même (voir à ce propos les procédés de désensibilisation ou de suggestion post-hypnotique, dans les travaux de Joseph Wolpe et de Joseph Cautela.
Paul Ryan s’est inspiré tout au long de sa carrière de la psychothérapie, principalement de la thérapie behavioriste et de la Gestalt-thérapie. Nous en donnons un exemple ici, Wake for my Father (1973). Cette performance d’une durée de douze heures fut réalisée à New York comme une réponse à la mort de son père décédé d’un cancer. Ryan a mis en place le dispositif suivant : un banc sur lequel sont disposés trois caméras et trois moniteurs (complétés par trois moniteurs dans le public), puis un phonographe. Ryan lit un monologue écrit par lui-même dans lequel il s’apitoie sur son sort et révèle ses obsessions avec l’image de son père : il se répète et s’autocensure. Sa performance est enregistrée et renvoyée au public en temps réel. Ryan intègre dans son scénario les références aux stratégies guérilla dont la parodie noire Hi Mom ! de Brian Palma, paru en 1970. Ce film rappelle 1+1 de Jean-Luc Godard dans sa volonté d’esthétiser la technologie vidéo comme une pratique guérilla dont le but est de « déconditionner » les groupes sociaux du « brainwashing » subi par l’éducation morale, sexuelle ou raciale. Les psychiatres contemporains de Ryan ont attribué à la vidéo un potentiel thérapeutique grâce à sa fonction de « tv monologue ». Les artistes ont exploité à leur tour à la fois les fonctions de la transmission immédiate et du feedback de la télévision et de la vidéo, de même leurs interactions avec la collectivité, dont Simultaneity and Simultaneity, 1966, de Marta Minujin, Allan Kaprow et German Wolf Vostell, et plus tard, Good Morning, Mr. Orwell, 1983, de Nam June Paik). Ryan à son tour esthétise ce « tv monologue » par une réponse cybernétique destinée à faire de la collectivité le champ d’expérimentation même. L’effet cathartique exprimé par Ryan est davantage relié à une procédure de « brainwashing » à l’envers, notamment par Marco Vassi dans son livre Mind Blower publié en 1970 par Olympia Press.

Mind Blower

Vassi, écrivain pornographique et vidéaste, est particulièrement intéressant pour comprendre la thématique du contrôle mental. Ayant fait partie de nombreux cercles sectaires et thérapeutiques, dont la scientologie et le cercle Gurdjeff, Vassi a également été membre de Raindance Corporation et a publié dans Radical Software. Dans ses romans, Vassi esthétise la technologie vidéo comme un agent fantasmé du contrôle et du déconditionnement mental. Dans Mind Blower, roman pornographique, Vassi décrit Vuvu, une machine à sexe, composée de quatre caméras de surveillance qui enregistrent et renvoient l’image de manière décalée au sujet expérimental, couché sur un lit de laboratoire. VuVu fonctionne comme un ordinateur qui combine les données physiologiques avec les données visuelles (vidéo). Son but est de programmer un système de stimulation permettant de provoquer une expérience sexuelle culminante pour le protagoniste, dépassant son imagination. Le protagoniste ayant auparavant été rendu désorienté (par l’usage multiple des drogues sédatifs et stimulants, les expériences impliquant la violence et l’abus), se voit ainsi confronté à un véritable « video mind » qui pénètre dans son corps et son esprit afin de modifier ses conceptions morales. Car, l’étape VuVU est une des épreuves imaginées par le guru autoritaire et persuasif Tocco pour son protagoniste afin que ce dernier se défasse de ses convictions normées, notamment concernant le mariage, l’hétérosexualité, ou encore la monogamie. « Lavé d’esprit » grâce à l’expérimentation multimédia et sexuelle au laboratoire, le protagoniste est ainsi, notamment à la fin du roman, véritablement « refaçonné » par les valeurs hippies et communautaristes.
La particularité de Vassi a donc été d’avoir exprimé à la fois un imaginaire psychologique sur le conditionnement mental et une critique de la contre-culture même. Il a notamment critiqué les doctrines produites par ses contemporains technophiles (et dont il fait également parti), promouvant l’écologie de l’esprit : « How to turn masses on ? [this] implies some form of elite who will write the program. Or do the people want to be programmed ? Dig, ecology is in the public eye for about a year, and already there are ecology ‘groups’, and ecology ‘movement’, and a burgeoning religion of ecology […] in the name of Fuller, the Commoner, and the Holy Biosphere. Amen » (Vassi, « Zen Tubes », 1970.
Dans « Videotape Piece : Thank you for Presenting me With a Difficult Problem » (Radical Software, 1970) Vassi décrit les principes d’un traitement behavioriste basé sur l’isolement de la personne et l’univers « Wipe Cycle » (1969) de Frank Gilette et Ira Schneider, sous la forme d’une liste d’instructions. Avec cette pièce, Vassi cherche à provoquer, par le biais de l’isolement et d’un mur surchargé d’appareils de vidéo-surveillance, une « conscience-sans-le-contexte » [awareness-without-a-context]. Cette notion renvoie directement à Robert Jay Lifton et à sa conception sur la manipulation mentale [thought-reform]. Selon ce dernier, l’effacement de soi s’opère grâce à la cellule d’isolement et l’absence d’interactions de l’individu prisonnier avec son contexte culturel initial. Vassi fantasme que son expérimentation « pourrait être un excellent moyen de propagande pour ceux qui sont déjà inclinés vers des modes behavioriste et totalitaire » (Vassi, « Videotape Piece », 1970).

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